Université Paris Ouest Nanterre le Défense

SALLE DES CONSEILS, BÂTIMENT B

Le travail est l’un des objets les plus classiques des sciences sociales, mais aussi l’un des objets qui met le plus directement en question la manière dont les sciences sociales se conçoivent comme dotées d’un objet spécifique et de méthodes propres qui les distinguent des sciences de la nature. En effet, il n’est pas possible de penser le travail autrement que comme la mise en action d’un corps biologique et d’une dépense physiologique, eux-mêmes thématisés par une mécanique du travail (le concept physique de « travail ») et par une physiologie du travail[1]. Le travail contribue également à brouiller les frontières disciplinaires qui séparent les différentes sciences sociales dans la mesure où certains des objets les plus traditionnels des sciences du travail, comme la division du travail, appellent la mobilisation conjointe de différentes perspectives, économiques, ergonomiques, sociologiques et psychologiques, comme le soulignaient chacun à leur manière K. Marx lorsqu’il distinguait division technique et sociale du travail[2], et E. C. Hughes lorsqu’il affirmait que « la division du travail dans la société n’est pas purement technique, comme on le croit souvent. Elle est aussi psychologique et morale »[3].

Comment mobiliser conjointement différentes perspectives disciplinaires dans l’étude du travail ? Quels sont les bénéfices escomptés et les risques encourus ? Quelles sont les objections de principe et les justifications des études interdisciplinaires, transdisciplinaires ou pluridisciplinaires ?

Parmi les objets de discussions actuelles dans les disciplines et sous-disciplines qui se rapportent au travail, deux tout particulièrement semblent appeler de tels franchissement de frontières : la centralité du travail et la santé au travail. La question de la centralité du travail[4] se pose dans une multitude de débats spécifiques internes à l’économie, à l’anthropologie, à la psychologie sociale, à la sociologie du travail, aux sciences de la gestion, à l’ergonomie, etc. Les connaissances produites par ces différentes disciplines et sous-disciplines fournissent divers arguments pour  ou contre, mais selon des définitions du travail parfois incompatibles et dans le cadre de problématiques hétérogènes, de sorte qu’il est difficile d’aboutir à une conception globale et cohérente de la centralité du travail et à une vue d’ensemble des justifications et des objections. Les synthèses proposées[5] posent le problème épistémologique général des entreprises interdisciplinaires, un problème qui semble d’autant plus se poser que l’appartenance de certaines des disciplines ou sous-disciplines portant sur le travail au domaine même des sciences sociales est problématique.

La question des interactions entre santé et travail fait surgir le même type de difficulté. Les approches propres à la santé publique, à la psychanalyse, à la psychologie du travail à l’économie et à la sociologie du travail, par exemple, mobilisent différentes définition de la santé et différents modèles d’analyse des rapports entre santé et travail. Par ailleurs, ces définitions et ces modèles ne recouvrent que partiellement la manière dont les problèmes sont abordés par la médecine du travail et le droit du travail. En fait, la question des incidences du travail sur la santé et de la santé au travail est posée dans un vocabulaire aussi diversifié que contesté : stress, souffrance au travail, risques psychosociaux, qualité de vie au travail. Ce vocabulaire est pris dans des controverses qui dépassent le seul domaine des sciences du travail, ce qui indique que les interactions entre santé et travail posent des problèmes à portée politique générale qui appellent des réponses synthétiques. Les disciplines et sous-disciplines portant sur le travail ne peuvent participer à la formulation de ces réponses sans certaines formes de franchissement des frontières disciplinaires, ou bien sous la forme de la polémique avec d’autres disciplines, ou bien sous la forme d’une combinaison des approches. On retrouve le problème épistémologique général des entreprises interdisciplinaires, et il semble d’autant plus se poser que la dimension plus directement politique des controverses fait entrer en débat avec des approches propres à la théorie politique ou à la philosophie politique.

[1] Sur cet enjeu épistémologique et cette problématique, voir F. Vatin, Le travail. Économie et physique 1730-1830, Puf, 1993 et Le travail, sciences et société, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1999.

[2] K. Marx, Le Capital, Puf, 1993, chap. 12, section 4.

[3] E. C. Hughes, « Le travail et le soi », Le Regard sociologique, op. cit., p. 89.

[4] Cette question est l’objet de l’Anr PhiCenTrav : http://anrphicentrav.com/?cat=3

[5] Comme par exemple celle de R. E. Lane, The Market Experience, Cambridge University Press, 1991.

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