Programme scientifique 2012-2015
Le projet scientifique initial a été présenté et labellisé par le Conseil Régional en 2011.
Le DIM GESTES est soutenu financièrement pour 4 ans : 2012 – 2015.
Les recherches que le GIS GESTES se propose de soutenir se centrent sur le travail. Elles peuvent relever, notamment, du droit, de l’économie, de l’épidémiologie, de l’ergonomie, de la gestion, de l’histoire, de la médecine, de la philosophie, de la psychologie et de la psychanalyse, de la sociologie.
Un thème central : le travail
Le thème central du GIS GESTES est le travail.
Les projets de manifestations et les projets de doctorat ou de post-doctorat proposés peuvent traiter des aspects subjectifs du travail. Ils peuvent viser directement à éclairer la souffrance au travail. Ils peuvent aussi aborder des aspects positifs du travail tels que le plaisir que certains y trouvent ou l’intégration qu’il procure.
Ils peuvent aussi aborder le travail sous d’autres angles, dès lors que des retombées sont à attendre en ce qui concerne la souffrance au travail et les formes d’action permettant de la contenir ou de la combattre en répondant à certaines des questions de recherche exposées ci-après.
La notion de souffrance au travail fait elle-même débat (faut-il parler de « souffrance », de « risques psychosociaux », de « stress » ?) ; mais il est également pertinent de chercher à prendre en compte le plaisir au travail, ou encore les aspects collectifs du rapport à celui-ci. En effet, le travail est à la fois une source de contrainte et une possibilité de réalisation. Il peut engendrer le pire : la maladie mentale, la violence, voire le suicide. Mais il peut aussi engendrer le meilleur : le plaisir au travail, le vivre ensemble et l’accomplissement de soi. Comprendre la souffrance si médiatisée aujourd’hui, ses causes, ses manifestations, impose d’explorer, plus largement, la question du travail, de son statut, de son environnement et du rapport des travailleurs à leur travail. C’est l’objet des projets que le GIS GESTES entend soutenir en 2013-2014.
Par exemple, comment reconnaître l’expression des souffrances personnelles et en même temps s’efforcer de la dépasser, tant au niveau de la connaissance que de l’action ? Quelles sont les causes de la souffrance, les moyens et formes de son expression, les manières de la mesurer, les instruments et les dispositifs employés pour la combattre ? Comment concevoir un travail différent ? Comment décliner ces interrogations, qui s’appliquent aussi et inversement à des rapports positifs au travail, à différents niveaux, de l’organisation économique globale et régionale, au poste de travail et à la figure du travailleur, en passant par l’entreprise ?
Pour répondre à ces questions, il faut examiner les formes d’organisation du travail et de gestion de la main-d’œuvre, les conditions de travail et les évolutions de la santé au travail, l’articulation entre travail et hors-travail (une dimension essentielle en Île-de-France). Il faut étudier l’activité des travailleurs eux-mêmes. Il ne faut pas négliger le rôle des acteurs, susceptibles de contribuer, sinon de provoquer, la souffrance ou l’épanouissement – et les systèmes de contraintes dans lesquels ils sont pris, ou les marges de manœuvre dont ils disposent. Les acteurs qui prennent en charge la souffrance au travail, voire se professionnalisent autour de cette thématique, sont aussi à prendre en compte : représentants du personnel et syndicalistes, cadres, consultants, médecins du travail et médecins soignants, psychologues, psychanalystes, avocats, experts, fonctionnaires, etc. La diversité des acteurs (travailleurs, employeurs, consultants, représentants de l’État et des collectivités territoriales, médecins, psychologues du travail, syndicalistes, etc.) et des logiques d’action qui les animent mérite d’être analysée, ainsi que celle des dispositifs et des politiques (politiques publiques, de branches, d’entreprises). Il faut être attentif aux processus qui conduisent à exprimer la souffrance ressentie au travail, parce que celle-ci peut avoir des conséquences encore plus graves lorsqu’elle ne peut pas se dire. Cet examen doit se faire dans une perspective historique : n’est-il pas, en effet, paradoxal que le travail soit considéré comme un facteur de souffrances et de pathologies susceptibles d’affecter la vie hors travail, à un moment où il occupe une moindre part du temps de vie ?
Des comparaisons géographiques, entre Etats, entre régions mais aussi au sein de l’Île-de-France, sont particulièrement attendues. De même, sont attendues des propositions portant sur les services, les PME ou les travailleurs indépendants, encore insuffisamment étudiés par la recherche et pourtant particulièrement présents en région francilienne.
Les quatre axes sont :
► Déni, expression et objectivation de la souffrance au travail et du rapport au travail
► Causes et conséquences (économiques, gestionnaires et organisationnelles, sociales, médicales, psychologiques) des maux du travail
► Travail et travailleurs, temporalités et territoires
► Limiter les risques ou émanciper le travail ? Quelle conception de l’action ?
Déni, expression et objectivation de la souffrance au travail et du rapport au travail
Le traitement de la santé au travail par les acteurs sociaux s’est profondément transformé au cours des deux ou trois dernières décennies. Le déni des problèmes a reculé : de plus en plus d’entreprises reconnaissent que certains de leurs salariés sont exposés à des conditions de travail nocives et que certains souffrent à leur travail ; le déni a également reculé parmi les travailleurs. Ce n’est pas tant l’existence de la souffrance au travail qui fait débat que la nature de cette souffrance, la façon de la désigner, ses causes et la façon dont on pourrait la maîtriser. Le terme même « souffrance » est une manière de désigner les rapports au travail, les expériences du travail. Il est en concurrence avec d’autres dénominations/représentations : fatigue, stress, surmenage, risques psychosociaux. Ces querelles terminologiques peuvent paraître futiles, mais elles traduisent des désaccords dont les enjeux sont importants : quelle souffrance est susceptible d’être reconnue ? La souffrance psychologique doit-elle être privilégiée par rapport à d’autres problèmes de santé au travail ? La source principale de la souffrance réside-t-elle dans l’organisation, dans l’individu, dans leur appariement ? Faut-il soigner la souffrance comme une maladie dont le travailleur serait atteint, soigner l’organisation ou soigner le travail ? Il est donc important d’observer la façon dont la souffrance au travail est exhibée ou refoulée, catégorisée, mesurée, rattachée ou non à d’autres aspects du travail. Il faut notamment retracer l’histoire des différents registres de mise en forme et de catégorisation, tels que les codifications juridiques et les mesures statistiques. L’histoire du droit et de son application est d’un intérêt tout particulier : législation sur les maladies professionnelles, l’hygiène et la sécurité, le harcèlement moral.
Les catégorisations ne sont pas le monopole d’acteurs du monde savant et du monde juridique. Analyser la souffrance au travail, c’est aussi prendre en compte la variété des acteurs et institutions qui la repèrent, la désignent et la traitent : les professionnels de la prévention, mais aussi les syndicats, les organisations d’employeurs, les cabinets de conseils, les CHSCT, les DRH, etc. Quelles sont, par exemple, les stratégies de gestion des risques psychosociaux des entreprises ? Quel est le contenu des accords avec les partenaires sociaux sur le stress ? Comment les travailleurs eux-mêmes, et pas seulement leurs représentants, créent-ils, mobilisent-ils ou refusent-ils les catégories de définition de la « souffrance au travail » ? Comment les concepts et les discours circulent-ils entre espaces médiatique, professionnel et académique ? Quels sont les interfaces entre « savants » et gens du « terrain » : en particulier quel est le rôle des médecins du travail, des inspecteurs du travail, des consultants, des représentants des salariés ? Quel est le lien entre la conception du travail et de la souffrance au travail d’une part et les caractéristiques (démographiques, économiques, sociales) des acteurs concernés d’autre part ? L’articulation des différents niveaux d’action – national, régional et local – étant particulièrement visible en Île-de-France, région-capitale, les manières dont se posent ces questions pourront particulièrement profiter de la localisation du DIM.
Causes et conséquences (économiques, gestionnaires et organisationnelles, sociales, médicales, psychologiques) des maux du travail
Étudier les causes de la souffrance au travail et des troubles de santé attribuables (en totalité ou en partie) au travail requiert tout particulièrement une approche interdisciplinaire. Si les connaissances se cumulent beaucoup plus aisément aujourd’hui que naguère, il demeure nécessaire de recenser les modèles, de clarifier leurs rapports, de les confronter sur la base de données empiriques et de les combiner lorsque c’est possible. Un des objectifs du réseau de recherche sera, en rassemblant et en confrontant les connaissances produites dans différents univers scientifiques, de faciliter la production de visions d’ensemble des chaînes de causalité conduisant des structures économiques et sociales au bien-être et à la santé des travailleurs, tout en précisant les marges et les logiques d’action des différents acteurs.
Le contexte dans lequel les entreprises évoluent pèse sur leurs formes d’organisation et de gestion des ressources humaines : nature et comportement des propriétaires, marché des produits, marchés financiers. Ce contexte économique se combine à un contexte juridique souvent protecteur des travailleurs, mais pas toujours (que l’on songe aux heures supplémentaires ou complémentaires). Quel est l’impact sur le travail des décisions de politique économique prises aux niveaux national et international ? Peut-on cependant parler de contraintes économiques ? Quel rôle jouent les décisions de restructuration, de fusion, d’acquisition ? N’observe-t-on pas des comportements très différents d’entreprises placées dans des contextes comparables ? Le rôle joué par les technologies est-il uniforme ou dépendant de décisions stratégiques et organisationnelles ? Quel est alors l’impact sur les conditions de travail, la souffrance au travail et la santé au travail, de choix organisationnels tels que, par exemple, le recours à des dispositifs inspirés de la « production allégée » (« lean production »), à l’externalisation et à la sous-traitance, à l’évaluation individualisée, à la normalisation et aux certifications qualité ? Quel est l’effet de choix alternatifs ?
Cette entrée organisationnelle, économique, gestionnaire centrée sur les entreprises, administrations, associations et prenant en compte leurs environnements, notamment juridiques, permettra d’avancer dans la compréhension des caractéristiques du travail repérées comme potentiellement dangereuses : intensité excessive du travail, horaires longs, « atypiques » ou imprévisibles, exigences émotionnelles, manque d’autonomie, manque de vie collective, manque de reconnaissance, injustices, exposition à la violence physique ou morale, insécurité de la situation de travail et d’emploi. Qu’est-ce qui permet de faire un travail de qualité ou, au contraire, expose à devoir travailler d’une façon qui n’est pas conforme à ses valeurs professionnelles ou éthiques ?
À l’inverse, il s’agira aussi d’étudier ce qui, dans l’organisation ou la gestion des ressources humaines, favorise la convivialité, la coopération, la vie collective, la possibilité de mise en débat, y compris dans sa dimension démocratique impliquant notamment les représentants du personnel. Quel est le rôle des collectifs « spontanés » de salariés et des organisations syndicales, de leurs normes et valeurs, des identités et des sociabilités professionnelles dans la perception des situations de travail et de leur évolution ? Plus largement, on s’interrogera sur ce qui permet l’autonomie : autonomie procédurale et autonomie dans l’activité de travail (qui peut conduire à dire ou non que l’on fait un « vrai boulot »), mais aussi participation individuelle et collective à la définition des fins du travail et capacité à maîtriser un projet de vie professionnelle. Car les déterminants organisationnels et collectifs s’articulent aux vécus individuels et psychologiques. Ainsi, qu’est-ce qui, dans les politiques salariales, les perspectives d’avenir de l’entreprise, la gestion des carrières, mais aussi dans le caractère plus ou moins « soutenable » à long terme du travail, donne le sentiment d’un équilibre ou d’un déséquilibre entre les contributions et les rétributions ? Qu’est-ce qui construit le sentiment d’être dans un univers professionnel d’équité ou d’injustice ? Quelles sont, aussi, les causes organisationnelles des pénibilités et des risques physiques, chimiques et biologiques ? Les formes d’emploi et de GRH qui les atténuent ou les aggravent ?
On s’efforcera en effet, de dépasser la séparation entre recherches sur « le travail » et sur « l’emploi » et, au contraire, de relier les caractéristiques de l’emploi et celles du travail. Car la segmentation de l’emploi influe sur ce qu’est le travail, sur les souffrances et les risques qu’il engendre. La précarité de l’emploi, qu’elle soit de droit (CDD, intérim…), subjective ou de fait, induit des comportements, de la part des travailleurs concernés, de leur encadrement et des directions, qui pèsent sur le travail. Les mobilités internes subies peuvent, dans certains cas, jouer un rôle proche de celui des mobilités externes forcées. Les situations de sous-traitance sont en elles-mêmes génératrices de risques, créant aussi de l’invisibilité et de l’irresponsabilité.
Plus largement, la segmentation du marché du travail entretient des rapports étroits avec des formes de segmentation et de discrimination sociale liées au genre, au handicap, à l’âge, à l’apparence et à l’origine ethnique. Quelle est la dynamique qui relie les diverses formes de segmentation et de discrimination ? L’attribution de certaines pénibilités ou de certains risques à des catégories prédéterminées de travailleurs rend ces pénibilités et ces risques invisibles, soit parce que les travailleurs concernés ne sont pas en état de s’exprimer (ce peut être le cas des immigrés), soit parce que cette attribution facilite la « naturalisation » des pénibilités et des risques (par exemple les situations encore souvent jugées « normales pour un homme » ou « pour une femme »). Plus généralement, au-delà de la discrimination stricto sensu, quel est l’impact des préjugés liés aux inégalités culturelles et aux formes de domination entre groupes sociaux ? Quel est l’impact des transformations microsociales (comme l’affaiblissement de certains collectifs) et macrosociales (comme la transformation des groupes sociaux et de leurs rapports réciproques) sur les stratégies individuelles et collectives de défense ?
Finalement, en quoi la prise en compte de la « souffrance au travail » par les entreprises, les politiques, les dispositifs publics ou privés contribue-t-elle à redéfinir le travail ? Comment redéfinit-elle aussi le rapport des travailleurs à leur travail (qu’ils se reconnaissent comme souffrant au travail ou bien qu’ils assistent à la montée de cette thématique dans leur travail) et le travail lui-même : transformations organisationnelles, intervention d’acteurs extérieurs au travail sur la scène professionnelle, etc. ?
Travail et travailleurs, temporalités et territoires
La temporalité du travail et, à travers lui, celle de la sphère économique, n’est pas spontanément accordée avec d’autres temporalités, celles de la vie hors travail, celle de la famille notamment. Ce heurt de temporalités se produit à la fois dans le court terme (c’est le problème de la conciliation entre travail et hors-travail) et dans le long terme des carrières et des parcours de vie (où les projets individuels doivent composer avec les changements des contextes historiques). Alors que les Français, comparativement aux autres Européens, attendent beaucoup du travail comme lieu d’expression de soi et de création d’un lien social, ils souhaitent que le travail prenne moins de place dans leur vie. Quelle part de ce paradoxe s’explique-t-elle par des heurts de temporalité ?
Le sentiment que le travail déborde sur la vie personnelle tient pour une part à la situation familiale, notamment la présence d’enfants. Elle est aussi liée aux caractéristiques du travail et il convient d’approfondir l’étude de ce lien. Les travaux disponibles suggèrent que le travail a un impact par sa durée, mais aussi par l’organisation du temps de travail, sa variabilité, son imprévisibilité et les arrangements qui l’entourent. Le contenu du travail importe également : son intensité qui pèse sur les temps de récupération, mais aussi, par exemple, les préoccupations sur la qualité du travail, les préoccupations éthiques, dont on ne se débarrasse pas sitôt le temps de travail fini. Quel est le lien entre travail de qualité, qualité de la vie au travail et qualité de la vie au-delà du travail ?
Ces questions de temporalités sont bien évidemment liées à celle de l’espace et des territoires dans lesquels elles se déploient. Or, non seulement les évolutions technologiques dans le domaine de l’information et de la communication, dont nombre d’innovations prennent racine en Île-de-France, ont bouleversé la donne, mais le territoire francilien lui-même présente des spécificités marquées en matière d’emploi, de travail, de développements économiques et de problématiques sociales. Ainsi, la situation particulière de l’Île-de-France invite à porter l’attention sur le lien entre travail et « conditions de vies » en particulier les conditions de logement et les conditions de transport dans les déplacements domicile-travail (durée, confort, régularité).
L’impact du travail sur la santé et le bien-être ne dépend pas que de ses propriétés instantanées. Le sentiment d’équilibre entre contributions et rétributions ne dépend pas que du niveau du salaire : il peut être altéré par l’incertitude sur l’évolution de celui-ci. Confirmant les propos des travailleurs eux-mêmes qui rapportent souvent avoir « tenu », puis « craqué », les études épidémiologiques indiquent que l’impact des pénibilités dépend de la durée d’exposition. Autant que les conditions de travail du moment, le sentiment que le travail n’est pas « soutenable » à long terme est source de souffrance et d’un sentiment d’injustice. Il convient de mieux comprendre les déterminants du caractère objectivement et subjectivement soutenable du travail.
Ceci suppose de ne pas concevoir la carrière seulement comme une suite d’épreuves subies passivement. La façon dont le sujet peut donner, ou non, un sens à sa vie de travail et la concevoir comme réalisation d’une identité professionnelle ou d’un projet importe également. La possibilité d’apprendre, de former de l’expérience et de voir ses compétences reconnues et valorisées, est fondamentale. Dans quelle mesure cette possibilité dépend-elle de dispositifs formels (formation continue, valorisation des acquis de l’expérience…) ou de conditions moins institutionnelles, comme l’intensité du travail ou le fonctionnement des collectifs ? Inversement, l’impact des ruptures telles que les licenciements sont attestés, mais doit être mieux compris : comment jouent, au-delà du traumatisme initial, la perte de liens économiques et sociaux et de prévisibilité de l’avenir ? Qu’en est-il des ruptures organisationnelles ou technologiques, de l’évolution (et parfois de la disparition) des métiers et du brouillage des valeurs et des identités professionnelles, notamment dans le secteur public ? Des transformations du contexte historique (par exemple des mutations de l’état social) ? Enfin, l’orientation des trajectoires – pente de la carrière, évolution par rapport à la situation de la génération précédente, par rapport aux anticipations nées du parcours scolaire, etc. – joue-t-elle un rôle dans le rapport au travail ?
Les trajectoires ne se déroulent pas indépendamment les unes des autres. En particulier, plusieurs générations se côtoient au travail. La région Île-de-France présente d’ailleurs à cet égard des spécificités marquées. À quelles conditions les rapports entre générations sont-ils des rapports de concurrence ou, au contraire, des rapports de complémentarité et de coopération ? Quels en sont les impacts sur les conditions physiques et psychiques de travail et sur la santé au travail ? Les discordances de temporalité sont aussi liées à l’inscription spatiale des individus et des emplois. Cet aspect est encore largement inexploré et doit être approfondi. Le cas francilien, par la spécificité de son organisation spatiale, comme par la place spécifique que jouent les séjours en Île-de-France dans les parcours de vie, mérite des études spéciales. Serait-il pertinent de concevoir des indicateurs locaux de santé sociale tenant compte du rapport au travail ? Peut-on cartographier, aux échelles régionale et infrarégionale, le bonheur et le malheur au travail et le relier ainsi aux caractéristiques de la démographie d’une part, du tissu économique d’autre part ?
Limiter les risques ou émanciper le travail ? Quelle conception de l’action ?
Un quatrième axe est consacré à l’action pour améliorer le travail et le rapport au travail. Cette action peut être inspirée par deux conceptions différentes. Une première vision consiste, schématiquement, à isoler du travail des facteurs de risque et à remédier aux dangers qu’ils créent, soit en les éradiquant, ou du moins en les atténuant. Il ne s’agit pas de changer profondément le travail, mais de modifier certains de ses aspects, voire d’agir sur les travailleurs pour leur permettre de mieux affronter un travail potentiellement dommageable. Une vision alternative est de considérer que le travail doit être pris comme un tout et qu’il convient de « soigner le travail » pour faire reculer les souffrances et les risques.
Une question est de savoir si le souci du « bien-être » peut être dissocié du souci du bien faire. Par exemple, un travail « ni fait ni à faire », dans lequel les salariés ne se retrouvent pas et dont les résultats exigés tournent le dos aux buts qui comptent pour eux, peut-il être « compensé » par une ingénierie du « bien-être » ? On s’efforcera de préciser le lien entre ces visions de l’action et les divers modèles d’analyse des enjeux psychosociaux au travail, c’est-à-dire les diverses représentations tant du travail que du sujet. On examinera les usages de ces modèles en situation.
Une piste d’analyse de l’action, qui est aussi une piste d’intervention, concerne le rôle des collectifs de travail. Une des évolutions du travail contemporain, et une spécificité française en Europe, est l’isolement dans la réalisation du travail, renforcé par l’individualisation de la gestion des ressources humaines. Comment restaurer un milieu de travail qui soit un milieu de sociabilité, d’échange, d’appartenance ou d’affiliation ? L’action en la matière concerne les collectifs professionnels eux-mêmes et leur fonction psychologique propre, mais les dépasse aussi. Le travail ne peut pas spontanément faire consensus dans les entreprises et les organisations. Se mesurer ensemble à ce conflit, l’enrichir en instruisant les dossiers de la controverse sociale qu’il mérite – entre partenaires sociaux dans l’entreprise, mais aussi avec les usagers, les clients, les représentants de l’environnement, etc. – peuvent devenir la source d’un nouveau professionnalisme et le vecteur d’une autre qualité de la vie, au-delà de l’organisation.
L’émancipation du travail suppose que soient réunies des conditions juridiques, économiques et sociales qu’il faut préciser. Comment, en particulier, articuler action sur le travail et sécurisation des parcours d’emploi ?
Les pouvoirs publics, même à un niveau infranational, sont loin d’être démunis de moyens d’action : en tant qu’employeurs, en tant que clients susceptibles de faire jouer des clauses de mieux-disant social. D’autre part, loin de s’opposer aux approches de terrain, ces approches autorisent des analyses comparatives, mettant en évidences les marges d’action inégalement utilisées par des organismes placés dans des contextes comparables. Que peuvent nous dire et que nous disent les tentatives de définition et de chiffrage des risques psychosociaux, du coût du stress, de la qualité de l’emploi et du travail ou encore de l’emploi « décent » ?