Un thème central, le travail

Le travail, l’activité, les relations professionnelles, l’emploi et la construction de la santé sont au cœur du projet scientifique du GIS GESTES. Nombre d’avancées ont déjà été réalisées depuis la labellisation comme DIM, notamment en faisant systématiquement travailler différentes disciplines entre elles. Ces résultats peuvent être consultés sur le site Internet. Dans ce texte, plutôt qu’un bilan, nous proposons d’établir le périmètre des thématiques permettant de faire réseau et de favoriser les approches pluridisciplinaires innovantes afin de faire émerger de nouvelles questions de recherche. A ce titre, les liens entre le travail et la santé, au sens large, demeurent une spécialité que le GESTES souhaite particulièrement développer à travers les manifestations scientifiques et les bourses doctorales et postdoctorales. Néanmoins, une meilleure compréhension des rapports individuels et collectifs à l’activité et à l’emploi nécessite, indépendamment des questions de santé, une bonne connaissance des mondes du travail. En effet, le travail est à la fois une source de contrainte et une possibilité de réalisation. Il peut, via différentes médiations, engendrer le pire : la maladie mentale, la violence, voire le suicide. Mais il peut aussi engendrer le meilleur : le plaisir au travail, le vivre ensemble et l’accomplissement de soi, l’appartenance à un collectif, le sentiment du travail bien fait. Nombre de recherches montrent en quoi le travail, en tant qu’activité sociale, est un champ où se joue la construction de soi. Il faut aborder les conditions (au sens large) de cette construction dans différentes dimensions de court et long termes pour comprendre en quoi elles sont plus ou moins favorables, en constituant un appui ou au contraire une entrave pour le développement de la santé au fil de la vie professionnelle. Comprendre les questions de santé au travail, si médiatisées aujourd’hui, suppose donc d’explorer plus largement la question du travail, de son statut, de son environnement et du rapport que les travailleurs entretiennent – individuellement et collectivement – à leur activité.

Lors de la rédaction du premier projet scientifique en 2012, il avait paru important de mettre en avant, dans l’intitulé même du DIM, la notion de souffrance au travail. Outre le fait que de nouvelles réflexions et thématiques sociales (comme la pénibilité ou la notion de qualité de vie au travail) aient, depuis, émergé, l’élargissement disciplinaire du réseau, et notamment le souhait d’associer plus étroitement toutes les sciences humaines et sociales (SHS) (en impliquant plus encore droit, histoire, philosophie, gestion, ergonomie, etc.) ainsi que les sciences médicales, nous conduit à faire le choix d’un terme plus transversal, le mot « santé » remplaçant celui de « souffrance » dans l’acronyme GESTES.

Il ne s’agit toutefois pas de se cantonner à une approche restreinte et naturalisante de la santé, Pour l’OMS, dans sa charte de 1946, « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Mais la santé n’est-elle pas un processus, une construction, plutôt qu’un « état » ? Cela conduit à s’interroger sur le sens du travail et sa place dans la société, mais aussi sur la façon dont les catégories médicales ou psychologiques peuvent-être ou non mobilisées pour exprimer et gérer différents problèmes rencontrés dans le travail, à s’interroger sur la construction et l’usage des instruments et les dispositifs employés pour évaluer et combattre les problèmes de santé mais aussi pour soutenir les dynamiques de construction de la santé. Cela conduit aussi à réfléchir à la conception d’un travail différent tant en termes d’organisation économique globale et régionale, au niveau du poste de travail comme à celui de l’entreprise. La diversité des acteurs (travailleurs, employeurs, consultants, représentants de l’État et des collectivités territoriales, médecins, psychologues du travail, syndicalistes, etc.) et des logiques d’action qui les animent mérite d’être analysée, ainsi que celle des dispositifs et des politiques (politiques publiques, de branches, d’entreprises).

Il convient donc de poursuivre l’examen des formes d’organisation du travail et de gestion de la main-d’œuvre, des conditions de travail et des évolutions de la santé au travail, de l’articulation entre travail et hors-travail. Il faut également étudier l’activité des travailleurs eux-mêmes, au plan individuel et collectif. En, effet, il ne faut négliger ni le rôle des acteurs, susceptibles de contribuer, sinon de provoquer, le mal-être ou l’épanouissement, ni les systèmes de contraintes dans lesquels ils sont pris, ni les marges de manœuvre que les acteurs parviennent ou non à construire. Les acteurs qui prennent en charge ou qui influencent la construction de la santé au travail, sont aussi à prendre en compte : les salariés eux-mêmes, les représentants du personnel et syndicalistes, personnels des fonctions intervenant dans la conception du travail, cadres et managers, consultants, médecins du travail et médecins soignants, responsables santé et sécurité, psychologues, psychanalystes, avocats, experts, fonctionnaires, etc. De même, il faut être attentif aux processus qui conduisent à exprimer les difficultés ressenties, parce que celles-ci peuvent avoir des conséquences encore plus graves lorsqu’elles ne peuvent ni se dire ni, par conséquent, être prises en compte. L’expression ne doit d’ailleurs pas se limiter à l’inventaire des difficultés : experts de leur situation de travail, les salariés disposent d’une intelligence des situations qui devrait être prise en compte dans la conception et les modifications de l’organisation du travail. Ce travail sur les liens entre les caractéristiques du travail et de l’organisation d’une part et les effets sur la santé, le « bien-être » ou la « qualité de vie » d’autre part, mais aussi les discussions critiques sur les catégorisations à l’œuvre dans le domaine de santé au travail doivent conduire à un débat mutuellement enrichissant entre les SHS et l’épidémiologie ou la santé publique, mais aussi avec les juristes et les professionnels du droit, les gestionnaires, etc., en charge de ces questions.

Cet examen doit être inscrit dans une perspective historique : n’est-il pas, en effet, paradoxal que le travail soit considéré comme un facteur de « souffrances » et de pathologies susceptibles d’affecter la vie hors travail, à un moment où il occupe une moindre part du temps de vie ? Des comparaisons géographiques, entre État, entre régions, sont à développer, de même que des travaux sur les services, les TPE-PME ou les travailleurs indépendants, encore insuffisamment étudiés par la recherche.

Le projet du scientifique du GESTES se décline ainsi autour de quatre axes.

Nouvelles formes de travail et d’emploi, nouvelles organisations du travail, conditions de travail et leurs effets sur la vie des travailleurs et des personnes exclues du marché du travail

Le contexte dans lequel les entreprises évoluent pèse sur leurs formes d’organisation et de gestion des ressources humaines : nature et comportement des propriétaires ou des détenteurs du capital, rôle des marchés financiers, existence de relations hiérarchiques et de dépendances économiques entre les entreprises (filialisation et relations de sous-traitance), marchés des produits et services, finalités de l’entreprise, etc. Ce contexte économique se combine à un contexte juridique de moins en moins protecteur pour les travailleurs. Ces dernières années sont même marquées par une forte influence du contexte économique sur le contexte juridique, comme en témoignent de récentes réformes du droit social, notamment s’agissant du temps de travail. L’heure est à la flexibilisation organisationnelle et temporelle, y compris par le droit du travail. Quel est l’impact sur le travail des décisions de politique économique et/ou juridique prises aux niveaux national et international ? Peut- on parler de contraintes économiques ? Comment la financiarisation se répercute sur les politiques de gestion de l’emploi des entreprises ? La présence d’un donneur d’ordres ou de la tête du groupe modifie-t-elle l’organisation du travail dans les entreprises ? Quel rôle jouent les décisions de restructuration, de fusion, d’acquisition ? Quels enseignements tirer du contentieux qui se développe sur les restructurations, au regard de la santé au travail ? N’observe-t-on pas des comportements très différents d’entreprises placées dans des contextes comparables ? Le rôle joué par les technologies est-il uniforme ou dépendant de décisions stratégiques et organisationnelles ? Quel est alors l’impact sur les conditions de travail, le mal-être ou le bien-être et la santé au travail, de choix organisationnels tels que, par exemple, le recours à des dispositifs inspirés de la « production allégée » (« lean production »), à l’externalisation et à la sous-traitance, à l’évaluation individualisée, à la normalisation et aux certifications qualité, voire au « crowdworker » ? Le développement ou renforcement des tendances organisationnelles à l’œuvre dans le contexte de crise actuelle pose plus généralement la question des finalités du travail en tant qu’activité productive ainsi que du sens que les individus peuvent y attacher. Quels seraient les choix alternatifs, leurs enjeux et leurs conséquences ?

Cette entrée organisationnelle, économique, gestionnaire, centrée sur les entreprises, administrations, associations et prenant en compte leur environnement, qu’il soit économique ou juridique, devrait permettre d’avancer dans la compréhension des caractéristiques du travail prescrit repérées comme potentiellement dangereuses : intensité excessive du travail, horaires longs, « atypiques » ou imprévisibles, exigences émotionnelles, manque d’autonomie, faiblesse des collectifs et des ressources collectives au travail, manque de reconnaissance, injustices, exposition à la violence physique ou morale, insécurité de la situation de travail et d’emploi. Qu’est-ce qui permet de faire un travail de qualité ou, au contraire, expose à devoir travailler d’une façon qui n’est pas conforme à ses valeurs professionnelles ou éthiques ? Comment ces valeurs professionnelles sont-elles forgées et transmises ? Comment évoluent ou se recomposent les identités professionnelles ?

Il s’agira donc aussi d’étudier ce qui, dans l’organisation ou la gestion des ressources humaines, favorise la convivialité, la coopération, la vie collective, la possibilité de mise en débat, la possibilité de faire vivre les conflits sur les critères de qualité du travail, y compris dans sa dimension démocratique impliquant notamment les représentants collectifs des salariés, dans l’entreprise ou à l’extérieur. Les conflits au travail ne sont pas nocifs s’ils permettent de faire émerger les enjeux concrets du travail et de l’activité, s’ils peuvent être le support de reconfiguration des identités professionnelles. Ils peuvent alors constituer une ressource pour l’efficacité des organisations et la santé des professionnels. Quel est le rôle des collectifs « spontanés » de salariés et des organisations syndicales, de leurs normes et valeurs, des identités et des sociabilités professionnelles dans la perception des situations de travail et de leur évolution ? Plus largement, on s’interrogera sur ce qui permet l’autonomie : autonomie procédurale et autonomie dans l’activité de travail (qui peut conduire à dire ou non que l’on fait un « beau travail »), autonomie collective dans la possibilité du groupe de s’autoréguler, participation individuelle et collective à la définition des fins du travail et capacité à maîtriser un projet de vie professionnelle (qui permet là aussi de juger, cette fois collectivement, de la qualité du travail produit) Les déterminants organisationnels et collectifs de l’activité de travail s’articulent aux vécus individuels et à leurs dimensions psychologiques. Les subjectivités au travail se forgent au croisement des parcours individuels et des identités collectives. Qu’est-ce qui, dans les politiques salariales, les perspectives d’avenir de l’entreprise, la gestion des carrières, mais aussi dans le caractère plus ou moins « soutenable » à long terme du travail, donne le sentiment d’un équilibre ou d’un déséquilibre entre les contributions et les rétributions ? Qu’est-ce qui construit le sentiment d’être dans un univers professionnel d’équité ou d’injustice ? Quelles sont les causes organisationnelles des pénibilités et des risques physiques, chimiques et biologiques ? Quelles sont, enfin, les formes d’emploi et de GRH qui les atténuent ou les aggravent ? Ces questions concernent également le rôle et la place des négociations collectives et des évolutions du droit du travail. La tendance à la promotion de la négociation collective dans la production normative, et en particulier de l’accord collectif d’entreprise, la diversification des modes de négociation et leurs évolutions vont-elles dans le sens d’une workplace democracy, d’un renouveau du dialogue social, ou plutôt d’un déséquilibre au profit des employeurs et d’une fragilisation des protections des salariés ?Comment s’articule la promotion juridique de la négociation collective avec les pratiques de négociation ou de dialogue social et l’expression des rapports de force en présence ? Quels sont les enjeux du développement du dialogue social et de la négociation collective en termes de santé au travail, alors que l’employeur est juridiquement désigné comme responsable, au premier chef (obligation de résultat ou plus précisément obligation de moyens renforcée et de sécurité) ? Quels outils peuvent-être développés par la négociation collective, pour favoriser l’expression ou la reconnaissance des problèmes liés au travail et leur impact sur la santé ? Quelles sont les réponses adaptées selon les secteurs d’activités, les entreprises, voire les travailleurs ?

Pour répondre à ces questions, il convient dépasser la séparation entre recherches sur « le travail » et sur « l’emploi » et, au contraire, de relier les caractéristiques de l’emploi et celles du travail. Car la segmentation et la précarisation de l’emploi influent sur ce qu’est le travail, sur les difficultés et les risques qu’il engendre. La précarité de l’emploi, qu’elle soit de droit (CDD, intérim, travailleurs free lance…), subjective ou de fait, induit des comportements, de la part des travailleurs concernés, de leur encadrement et des directions, qui pèsent sur le travail. Les mobilités internes subies peuvent, dans certains cas, jouer un rôle proche de celui des mobilités externes forcées. Les situations de sous- traitance sont en elles-mêmes génératrices de risques, créant aussi de l’invisibilité, une dilution des responsabilités et des inégalités de traitement. Il sera également important de prendre davantage en compte les situations de perte d’emploi ou de difficultés d’accès à l’emploi, les questions des liens entre santé et chômage et chômage et santé. Globalement, les chômeurs sont en moins bonne santé que les actifs occupés, ce qui s’explique à la fois par des effets de sélection (pour obtenir et conserver un emploi, il vaut mieux être en bonne santé) et des effets pathogènes du chômage qui doivent faire l’objet de recherches spécifiques.

Plus largement, la segmentation du marché du travail entretient des rapports étroits avec des formes de segmentation et de discrimination sociale liées au genre, au handicap, à l’âge, à l’apparence et à l’origine ethnique. Quelle est la dynamique qui relie les diverses formes de segmentation et de discrimination ? L’attribution de certaines pénibilités ou de certains risques à des catégories prédéterminées de travailleurs rend ces pénibilités et ces risques invisibles, soit parce que les travailleurs concernés ne sont pas en état de s’exprimer (ce peut être le cas des immigrés, ou des intérimaires), soit parce que cette attribution facilite la « naturalisation » des pénibilités et des risques (par exemple les situations encore souvent jugées « normales pour un homme », « pour une femme » ou pour un « travailleur migrant »). Plus généralement, au-delà de la discrimination stricto sensu, quel est l’impact des préjugés liés aux inégalités culturelles et aux formes de domination entre groupes sociaux ? Quel est l’impact des transformations microsociales (comme l’affaiblissement de certains collectifs) et macrosociales (comme la transformation des groupes sociaux et de leurs rapports réciproques) sur les stratégies individuelles et collectives de défense ?On pourrait évoquer également les transformations diffuses des tâches, buts, ou objectifs dans le travail des encadrants et experts (ingénieurs, techniciens, professions intellectuelles…) avec la prise en charge de tâches administratives et de communication permises par les TIC (surcharge électronique, incivilités numériques, technostress), ces tendances étant alourdies du fait de la gestion de sous-traitants, de la déstructuration des temps de travail, de la dématérialisation des activités, du management à distance, etc.

On observe le développement de nouvelles formes de travail (uberisation, « révolution » digitale, numérisation) ou nouvelles organisations (entreprise libérée, holacratie, agilité mais aussi lean management y compris dans le secteur public) qui impactent les conditions de travail et le statut du travailleur. Au-delà de l’uberisation, il y a plus largement le retour de nouvelles formes d’indépendance, parfois imposées par le chômage ou l’employeur (la relation salariale devenant une relation de sous-traitance). Dans les TIC, les métiers artistiques et culturels, ces formes se développent et peuvent conduire à plus d’autonomie et d’engagement dans le travail ou à une exploitation et une précarité accrue, en fonction des ressources individuelles et collectives des travailleurs concernés.

Dans le secteur public les réformes (LOLF, NMP, etc.) et leurs impacts sur le travail et la santé des agents constituent des axes de recherche en plein développement. Cependant, de nombreux terrains d’investigation restent à développer : dans le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche et de la territoriale, mais aussi, secteur de la santé, sécurité intérieure, de la Défense…

Tout cela pose notamment la question de l’évolution du rapport subjectif que l’on entretient avec son activité, son travail, son emploi – mais également aux autres (collègues, encadrement, usagers, patients, élèves ou clients, etc.) –, évolutions qui transforment le contrat psychologique qui lie le salarié à son employeur. Comment l’implication et l’engagement (ainsi que la performance) recherchée par les dispositifs managériaux se combinent-ils avec les formes d’engagement et d’implication des professionnels dans leur activité, au plan individuel et collectif ? Comment ces évolutions participent-elles à la construction de la santé ou à sa dégradation? Ces évolutions posent également de façon aigue la question des collectifs de travail, de ce qui les constitue et de ce qui les fragilise.

L’importance des collectifs de travail a été soulignée par beaucoup de disciplines (sociologie, psychologie, ergonomie, etc.). Les études sur la fonction des collectifs dans les organisations méritent d’être approfondies. Il semble donc pertinent d’instruire cette question au cours des quatre prochaines années, notamment d’un point de vue interdisciplinaire, pour confronter les différentes approches de cette notion et l’articulation entre collectif, santé et travail dont elle est porteuse. Les collectifs ne sont que des potentialités fragiles – qui ne limitent pas au« soutien social », ressource pourtant négligée par les « concepteurs du travail » – qui se construisent dans le travail collectif quotidien et non des formules magiques pour faire face à tous les problèmes. Des études empiriques précises sont donc nécessaires pour renforcer nos connaissances sur ces thèmes.

Déni, expression et objectivation des troubles de la santé et du rapport au travail

Le traitement de la santé au travail par les acteurs sociaux s’est profondément transformé au cours des trois dernières décennies. Le déni de certains problèmes a reculé : de plus en plus d’entreprises reconnaissent que nombre de leurs salariés sont exposés à des conditions de travail difficiles et que certains souffrent à leur travail ; le « déni » a également reculé parmi les travailleurs, même si le recours au vocabulaire psychologique ou médical pour exprimer les difficultés vécues au travail n’est pas sans poser de nouveaux problèmes. Ce n’est donc pas tant l’existence de difficultés au travail ou du mal-être qui fait débat que la nature de ces difficultés, la façon de les désigner et de les évaluer, leurs causes et la façon dont on pourrait y faire face. Parler de « souffrance », de stress, de RPS, d’exploitation, de pénibilité ou à l’inverse de qualité de vie au travail de bien-être ou de travail satisfaisant ou autoréalisateur (la littérature anglophone parle de « meaningfulwork ») représentent des manières différentes de désigner les rapports au travail et les expériences du travail. Il y une concurrence des dénominations/représentations : fatigue, surmenage, burn out, santé mentale, dépression, etc. Ces querelles terminologiques peuvent paraître futiles, mais elles traduisent des désaccords dont les enjeux sont importants épistémologiquement et politiquement : quelle forme de malaise est-elle susceptible d’être reconnue comme légitime ? Les dimensions psychologiques du mal-être doivent-elles être privilégiées par rapport à d’autres entraves à la construction de la santé au travail ? La source principale réside-t-elle dans l’organisation, dans l’individu, dans les collectifs, dans leur appariement ? Faut-il soigner le mal-être comme une maladie dont le travailleur serait atteint, soigner l’organisation ou soigner le travail ? Certains dénoncent une technicisation des enjeux de santé et des problèmes de santé au travail, qui empêcherait la prise en compte de la subjectivité et de l’expérience des travailleurs par les décideurs et les experts et favoriserait un approche formaliste et coupée du travail dans les entreprises. Dans le même temps, des syndicats s’emparent de ces questions, voire des partis politiques. Il ne s’agit pas pour le chercheur de trancher, mais de clarifier les termes de la discussion à partir d’enquêtes empiriques, de mises en perspective historique et de prise en compte des dimensions interdisciplinaires de ces problèmes.

Il est donc important d’observer la façon dont le mal-être au travail est exhibé ou refoulé, catégorisé, mesuré, rattaché ou non à d’autres aspects du travail. Il faut notamment retracer l’histoire des différents registres de mise en forme et de catégorisation, telles que les codifications juridiques, les entités cliniques et les mesures statistiques. L’histoire du droit et de son application est d’un intérêt tout particulier : législations sur les accidents du travail, les maladies professionnelles, l’hygiène et la sécurité, les conditions de travail, la protection de la santé physique et mentale, la prévention, le harcèlement moral, les RPS, la pénibilité ou la qualité de vie au travail (QVT). Les débats en cours en France sur la reconnaissance ou non du burn-out comme maladie et comme maladie professionnelle ainsi que les enjeux de cette reconnaissance offrent une bonne illustration.

La judiciarisation des rapports sociaux, le recours croissant au Droit ou aux instances d’alerte en cas de conflit peut être vu comme un symptôme du durcissement ou de formalisation des relations sociales. Cela pose les questions des frontières entre les statuts, des protections (statut de lanceur d’alerte), des changements (ou non) des rapports de force (remise en cause de la hiérarchie, développement des reprises d’entreprises en SCOP/SCIC). Il y a aussi à l’inverse le recours au Droit de la part des entreprises pour accroitre la répression syndicale (syndicalistes condamnés) et empêcher les contestations (médecins du travail ou inspecteurs du travail devant la justice). Le récent développement du contentieux sur la santé au travail, bien au-delà du cadre des accidents du travail et des maladies professionnelles, pose plus largement la question des réponses possibles ou attendues du droit et du rôle de ce dernier dans la reconnaissance, la négation ou bien encore la diffusion des problématiques.

Les catégorisations ne sont pas le monopole d’acteurs du monde savant et du monde juridique. Analyser la santé au travail, ses processus de dégradation mais aussi de construction, c’est aussi prendre en compte la variété des acteurs, des dispositifs et des institutions qui la repèrent, la désignent et la traitent : les syndicats, les organisations d’employeurs, les CHSCT, les DRH, les personnels intervenant dans la « conception du travail » (réorganisations à la recherche d’efficacité impliquant notamment l’importance croissante des DSI et systèmes d’information), mais aussi les professionnels de la prévention et de la SST, les cabinets de conseils, etc. Quelles sont, par exemple, les stratégies de gestion des risques psychosociaux des entreprises ? Que représente, dans les entreprises, et pour ces différents acteurs le passage de la lutte contre les RPS à la prise en charge et la négociation de la QVT ? Quel est le contenu des accords avec les partenaires sociaux sur le stress, la pénibilité ? Comment les travailleurs eux-mêmes, et pas seulement leurs représentants, créent-ils, mobilisent-ils ou refusent-ils les différentes catégories de définition du « mal-être au travail » ? Comment les concepts et les discours circulent-ils entre les espaces médiatiques, professionnels et académiques ? Quels sont les interfaces entre « savants » et gens du « terrain » ; en particulier quel est le rôle des médecins du travail, des inspecteurs du travail, des consultants, des représentants des salariés ? Quel est le lien entre la conception du travail et de la santé au travail d’une part et les caractéristiques (démographiques, économiques, sociales) des acteurs concernés d’autre part ? Comment l’encadrement de proximité se saisit, prolonge ou porte ces enjeux dans son activité d’organisation du travail et de régulation locale ? Quels sont les principes fondateurs de la prévention ? Quelles sont les possibilités et limites de l’interdisciplinarité pour l’action de prévention ? Comment faire pour que l’acteur salarié soit pleinement partie prenante de sa santé au travail ?

La comparaison internationale dans le domaine de la santé au travail elle aussi est utile. En effet, elle permet de replacer les différentes catégorisations du mal-être au travail dans les contextes économiques, culturel, politiques et sociaux de chacun des pays ; de montrer comment la mise en forme et la gestion du malaise fait système avec l’organisation du travail et des relations professionnelles, du système de soin, du système éducatif, etc. Cette différence d’étiquetage et de gestion des problèmes, ainsi que les différences entre traditions nationales en sciences du travail, rend la comparaison internationale et la communication entre chercheurs de différent pays plus délicate. Par exemple, le bullying britannique n’est pas directement comparable au « harcèlement moral » français ni au mobbing scandinave. De même, certaines situations de souffrance peuvent être gérées comme du burn out en Allemagne et comme des dépressions en France, avec des conséquences médicales et sociales bien différentes. C’est pourquoi, il a semblé important de développer les recherches sur la genèse, la diffusion, l’usage et les effets des phénomènes aujourd’hui catégorisés sous l’étiquette de stress, de souffrance ou de burn out, etc., en lien avec les différents systèmes réglementaires et institutionnels de prise en charge de la santé au travail. Le Gestes entend donc, dans les années à venir, développer et approfondir ses relations internationales (réseaux de recherche, programmes communs, partenariat avec des structures internationales, etc.)

Travail et travailleurs, temporalités, parcours et territoires

La temporalité du travail et, à travers lui, celle de la sphère économique, n’est pas spontanément accordée avec d’autres temporalités, celles de la vie hors travail, celle de la famille ou des rythmes physio-psychologiques notamment. Ce heurt de temporalités se produit à la fois dans le court terme (c’est le problème de la conciliation entre travail et hors-travail) et dans le long terme des carrières et des parcours de vie (où les projets individuels doivent composer avec les changements des contextes historiques), en tenant compte de l’usure qui l’accompagne. Alors que les Français, comparativement aux autres Européens, attendent beaucoup du travail comme lieu d’expression et de réalisation de soi et de création d’un lien social, ils souhaitent que le travail prenne moins de place dans leur vie. On peut soupçonner qu’une part de ce paradoxe s’explique par le heurt des temporalités, dans un contexte marqué par l’effacement des frontières entre travail et hors travail (bluring).

Le sentiment que le travail déborde sur la vie personnelle tient pour une part à la situation familiale, notamment la présence d’enfants, comme à la répartition des tâches au sein de la famille. Elle est aussi liée aux caractéristiques du travail et il convient d’approfondir l’étude de ce lien. Les travaux disponibles suggèrent que le travail a un impact par sa durée, mais aussi par l’organisation du temps de travail, sa variabilité, son imprévisibilité et les arrangements qui l’entourent. Le contenu du travail importe également : son intensité qui pèse sur les temps de récupération, mais aussi, par exemple, les préoccupations concernant la qualité du travail, les préoccupations éthiques, dont on ne se débarrasse pas sitôt le temps de travail fini. Quel est le lien entre travail de qualité, qualité de la vie au travail et qualité de la vie au-delà du travail ?

Trop peu de travaux interrogent les effets des nouvelles formes d’organisation temporelle (horaires variables, flexibles, travail le dimanche, télétravail, etc.) notamment pour les femmes (du fait des inégalités persistantes de répartition du travail domestique, mais aussi du point de vue des enfants et de leur éducation). Seuls 30 % des salariés ne sont pas en horaires atypiques : l’atypique devient « normal ».Quel sont les effets sur la santé (du point de vue des connaissances de l’effet du travail de nuit / en horaires alternants) ? Dans quelle mesure est-ce un problème de santé publique ? Quel sont les effets pour le travail (son intensification potentielle et les formes de régulation : comment gère t’on les « compromis » qui surviennent à l’occasion des tensions nées des évolutions de temporalité)

Ces questions de temporalités sont bien évidemment liées à celle de l’espace et des territoires dans lesquels elles se déploient. Or les évolutions technologiques dans le domaine de l’information et de la communication ont bouleversé la donne. Cela invite à porter une attention toute particulière sur le lien entre travail et « conditions de vies », notamment en ce qui concerne les conditions de logement et de transport s’agissant des déplacements domicile-travail (durée, confort, régularité, fiabilité).

L’impact du travail sur la santé et le bien-être ne dépend pas que de ses propriétés instantanées. Le sentiment d’équilibre entre contributions et rétributions ne dépend pas que du niveau du salaire : il peut être altéré par l’incertitude sur l’évolution de celui-ci ainsi que par différentes rétributions symboliques (reconnaissance de la difficulté ou de la valeur de la contribution). Confirmant les propos des travailleurs eux-mêmes qui rapportent souvent avoir « tenu », puis « craqué », les études épidémiologiques indiquent que l’impact des pénibilités dépend de la durée d’exposition, du parcours de vie et professionnel. Autant que les conditions de travail du moment, le sentiment que le travail n’est pas « soutenable » à long terme est source d’angoisse et de sentiment d’injustice. Il convient de mieux comprendre les déterminants du caractère objectivement et subjectivement soutenable du travail. La notion de pénibilité et les comptes individuels de pénibilité ou l’accord sur la qualité de vie au travail sont-ils suffisant pour prendre en compte ces questions ?

Certes, il ne faut pas concevoir la carrière seulement comme une suite d’épreuves subies passivement. La façon dont le sujet peut donner, ou non, un sens à sa vie de travail et la concevoir comme réalisation d’une identité professionnelle ou d’un projet importe également. Les parcours professionnels sont également interrogés : l’injonction à se former tout au long de sa vie, à changer plusieurs d’emploi et de statut, à travailler plus longtemps risque de produire des effets différents suivant les individus et les catégories sociales : enrichissement et nouvelles potentialités pour les uns, précarisation, déqualification et stigmatisation (la fameuse « résistance au changement ») pour les autres.

La possibilité d’apprendre, de construire et développer sa propre expérience et de voir ses compétences reconnues et valorisées, est fondamentale. Pouvoir enrichir et mettre en œuvre effectivement son expérience et ses connaissances est un facteur de santé comme de performance économique et sociale. Dans quelle mesure cette possibilité dépend-elle de dispositifs formels organisés autour de programmes de gestion des ressources humaines et de l’évolution du droit du travail (GPEC, formation continue, valorisation des acquis de l’expérience, Compte Personnel de Formation, congés individuels divers…) ou de conditions moins institutionnelles, comme l’intensité du travail, le fonctionnement des collectifs ou la participation des salariés ? Inversement, l’impact des ruptures telles que les licenciements est attesté, mais doit être mieux compris : comment jouent, au- delà du traumatisme initial, la perte de liens économiques et sociaux et de prévisibilité de l’avenir ? Qu’en est-il des ruptures organisationnelles ou technologiques, de l’évolution (et parfois de la disparition) des métiers et du brouillage des valeurs et des identités professionnelles, notamment dans le secteur public ? Quelles sont les conséquences des transformations du contexte historique (par exemple des mutations de l’Etat social) ? Enfin, l’orientation des trajectoires – pente de la carrière, évolution par rapport à la situation de la génération précédente, par rapport aux anticipations nées du parcours scolaire, etc. – joue-t-elle un rôle dans le rapport au travail ? La sécurisation des parcours, la valorisation des acquis de l’expérience constituent-ils des réponses à ces enjeux ?

Il faut également tenir compte du fait que les trajectoires ne se déroulent pas indépendamment les unes des autres. En particulier, plusieurs générations se côtoient plus ou moins au travail (en fonction notamment des fluctuations de l’emploi). À quelles conditions les rapports entre générations sont-ils des rapports de concurrence ou, au contraire, des rapports de complémentarité et de coopération ? Quels en sont les impacts sur les conditions physiques et psychiques de travail et sur la santé au travail ? Les discordances de temporalité sont également liées à l’inscription spatiale des individus et des emplois. Cet aspect est encore largement inexploré et doit être approfondi. Des études spécifiques pourraient prendre la forme de comparaison entre régions, dont les caractéristiques en termes de démographie, d’équipements, de bassin d’emploi… ont selon leur prégnance ou leurs rapports des effets différenciés sur les conditions de travail ou d’emploi. La comparaison internationale pourrait être un complément de la comparaison internationale.

Limiter les risques ou démocratiser le travail ?

Un quatrième axe est consacré à la question des actions qui permettraient d’améliorer le travail, le rapport au travail et la construction de la santé. On peut distinguer schématiquement deux manières de répondre à cette question. Une première réponse, fondée sur les pratiques de gestion des risques professionnels consiste, en simplifiant, à isoler du travail des facteurs de risque et à remédier aux dangers qu’ils créent en cherchant à les éradiquer ou à les atténuer. Il ne s’agit pas de changer profondément le travail, mais de modifier certains de ses aspects, voire d’agir sur les travailleurs pour leur permettre de mieux affronter un travail potentiellement dommageable. L’efficacité de l’approche par les risques et la prévention des risques pour faire reculer les problèmes de santé au travail doit être questionnée. Une logique de compensation n’est-elle pas d’ailleurs contradictoire avec des objectifs de santé au travail ? On doit aussi questionner l’impossibilité de prendre en compte les RPS ou la « pénibilité subjective » dans le calcul du « compte personnel de prévention et de pénibilité » (permettant depuis 2015 à tout salarié exposé à des conditions de travail définies comme pénibles d’accumuler des points à convertir en formation, en temps partiel payé temps plein ou en départ anticipé à la retraite) montre les limites de cette approche.

Une réponse alternative est de considérer que le travail doit être pris comme un tout et qu’il convient de transformer le travail pour modifier ses impacts sur la santé. L’Accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail (QVT) de 2013 souligne l’importance des expérimentations locales, du diagnostic partagé avec les travailleurs eux-mêmes, de la mise en place d’espaces de discussion entre la consultation et la négociation, de la dimension intersubjective du bien-être. Poser le problème de la santé au travail en termes de QVT va-t-il permettre une réelle mise en débat du travail et de ses conditions de réalisation, sans tomber dans la victimisation, l’individualisation et la pathologisation ? L’observation des accords d’entreprise déjà signés montre que l’absence de normes opposables à l’employeur en matière de QVT, le caractère général des textes actuels, peuvent conduire les entreprises à axer leur politique sur l’environnement du travail (des séances de yoga-relaxation, de massages, de soutien psychologique souvent par téléphone avec un numéro vert, différents services sur le lieu de travail : pressing, entretien de la voiture, livraison de repas, garde d’enfants, salle de sport, etc.), sur une « promotion de la santé au travail » détachée de l’activité de travail (incitations à faire davantage d’exercice, à dormir plus et mieux, à manger plus sainement, etc.) ou sur la mise en place d’un management convivial et poli, plutôt que sur le travail lui-même. Il n’existe pas encore de bilan national des accords sur la QVT, mais pour certains observateurs, le risque serait de diluer le thème de la qualité de vie au travail dans la notion plus vague d’un « bien-être au travail » qui serait en fait déconnecté du travail.

Une question est de savoir si le souci du « bien-être » peut être dissocié du souci du « bien faire ». Par exemple, un travail « ni fait ni à faire », dans lequel les salariés ne se retrouvent pas et dont les résultats exigés tournent le dos aux buts qui comptent pour eux, peut-il être « compensé » par une ingénierie du « bien-être » ? On s’efforcera de préciser le lien entre ces réponses aux problèmes de santé liés au travail et les divers modèles d’analyse des enjeux psychosociaux au travail, c’est-à-dire les diverses représentations tant du travail que du travailleur, tant de la santé en général que de ce qu’elle doit au travail.

Une piste d’analyse de l’action – qui est aussi une piste pour l’intervention – concerne le rôle de ce que l’on peut qualifier, suivant les orientations théoriques et disciplinaires, de collectifs de travail, de coping commun, de résilience collective, de genre professionnel et de pouvoir d’agir, etc. Une des évolutions du travail contemporain, et une spécificité française en Europe, est l’isolement dans la réalisation du travail, renforcé par l’individualisation de la gestion des ressources humaines. Comment restaurer un milieu de travail qui soit un milieu de sociabilité, d’échange, d’appartenance ou d’affiliation mais aussi d’initiative et de créativité collective ? Si ces questions concernent le lien entre santé et travail, c’est qu’on peut penser que l’insertion dans un groupe social, quel qu’il soit, produit des effets de « support » ou de « soutien social » dont les effets de résilience sont favorables à la santé au travail. Ils permettent aussi le développement d’affects et de sentiments collectifs (travail bien fait, participation à une communauté de valeurs, etc.) favorables à la santé individuelle. Mais les collectifs de travail, dont nous avons déjà souligné qu’ils devaient faire l’objet d’étude spécifique, ne sont pas des groupes sociaux comme les autres. Ils sont constitués dans un contexte institutionnel spécifique, où il s’agit d’obéir à des prescriptions tout en les interprétant, où il s’agit de répondre à des injonctions concernant les manières de faire et les objectifs à atteindre tout en s’inscrivant dans un groupe héritant de règles de métier et de valeurs collectives. Comment interpréter les prescriptions, les règles et les valeurs pour faire face aux problèmes qui se présentent dans l’expérience du travail ? Cela fait naître différents conflits. Le travail ne peut pas spontanément faire consensus dans les entreprises et les organisations, ni en ce qui concerne la santé des personnes, ni en ce qui concerne la performance des organisations. Se mesurer ensemble à ce conflit, l’enrichir en instruisant les dossiers de la controverse sociale qu’il mérite – entre partenaires sociaux dans l’entreprise, entre les différentes fonctions de l’entreprise mais aussi avec les usagers, les clients, les représentants de l’environnement, etc. – cela aussi peut produire des effets positifs sur la santé (alors que le silence sur les problèmes risque de les aggraver) en même temps que constituer une forme importante de démocratisation du travail.

La démocratisation du travail, est visée aujourd’hui de différentes manières par le recours aux référendums ou les réflexions sur la représentativité syndicale. La négociation collective obligatoire sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail, doit porter notamment sur le droit d’expression directe et collective des salariés, sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail. L’on songe également au recours au referendum pour valider des accords collectifs de travail. Mais la démocratisation du travail suppose que soient réunies des conditions juridiques, économiques et sociales qu’il faut préciser. Comment, en particulier, articuler action sur le travail et sécurisation des parcours d’emploi ? Comment concilier recherche de sens et régulation de l’engagement dans le travail ? Cela interpelle directement les modes (au double sens de modalités et d’être à la mode) de management vers l’entreprise dite « libérée », l’agilité ou l’holacratie. A quelles conditions ces formes d’organisation, qui visent entre autre à confier davantage de responsabilités aux salariés et aux collectifs de travail, sont-ils vecteurs de démocratisation (et d’efficacité) ou au contraire sont-ils sources de nouvelles contraintes si l’invitation à « prendre ses responsabilités » ne s’accompagne pas d’une responsabilité effective dans la définition du travail ?

Comment ces dispositifs articulent-ils recomposition des formes de contrôle du et dans le travail et potentiel émancipateur ? A quelles conditions les espaces de discussion peuvent-ils produire de réelles transformations sur le travail et ses conditions d’organisation – voire sur la gouvernance des organisations (au-delà donc des régulations locales qu’ils permettent potentiellement)?Plus généralement, quelles formes et significations peuvent recouvrir l’idéal de démocratisation pour les travailleurs et collectifs (notamment, la création d’espaces de micro-émancipation plus individuelles au détriment ou en rupture avec des formes classiques davantage pensées comme structurelles et collectives ?). Souhaite-t-on vraiment que la démocratie entre de plein droit dans l’entreprise ? Est-il souhaitable, voire possible, de conjuguer action collective et expression/autonomie individuelle ? De quels outils et leviers doter les acteurs pour qu’ils faire valoir leurs points de vue, leurs logiques d’action et leurs« besoins » au travail ?

Nous souhaiterions donc renforcer dans le cadre du renouvellement du GIS GESTES la place accordée à l’étude des différentes formes de démocratie, ou mieux, de démocratisations de l’entreprise. Il ne s’agirait pas de se limiter à la démocratie sociale dans ses formes actuelles, mais d’élargir cet objet aux différentes formes de démocratisations au travail : Coopératives d’Activités et d’Emplois – CAE –, des Sociétés Coopératives et Participatives – SCOP –, des reprises d’entreprises par les salariés ou, dans un autre registre, du mouvement des « entreprises libérées ». Quels sont les fonctions et usages nouveaux des IRP ? Quels seraient les effets sociaux et sanitaires de la démocratisation en entreprise : meilleure qualité de vie au travail ; atténuation des tensions en entreprise ? Quels modes de régulation s’inventent-ils dans ces organisations ? Les modèles coopératifs résistent-ils mieux aux crises économiques et financières, favorisent-ils l’activité et l’emploi ?